Type de recherche

L’allocution solennelle du premier Président de la RDC

La Tempête des Tropiques Nation POLITIQUE

L’allocution solennelle du premier Président de la RDC

Partager

Excellences, mes chers compatriotes,
Au moment solennel où la République du Congo se présente au monde et à l’Histoire, pleinement indépendante et souveraine, au moment où nous ressentons intensément le caractère irrévocable et définitif du pas que nous franchissons, nous ne pouvons pas nous empêcher de mesurer la gravité de nos responsabilités et, dans une attitude de profonde humilité, de demander à Dieu qu’il protège notre peuple et qu’il éclaire tous ses dirigeants.
Avant toute chose, je voudrais exprimer ici une émotion, la reconnaissance que nous ressentons envers tous ces artisans obscurs ou héroïques de l’émancipation nationale, et tous ceux qui, partout sur notre immense territoire, ont donné sans compter leurs forces, leurs privations, leurs souffrances et même leur vie pour que se réalise enfin leur rêve audacieux d’un Congo libre et indépendant.

(Applaudissements.)

Je pense à ces travailleurs des chantiers, des usines, à ces agriculteurs de nos plaines et de nos vallées, à ces intellectuels aussi, à tous ceux, jeunes ou vieux, qui ont senti monter dans leur cœur un irrésistible idéal de liberté et qui, quoi qu’il put arriver, ont su rester fidèles à cet idéal et ont su l’accomplir. Je pense à nos femmes aussi qui, sans faiblir un seul instant, ont su réconforter leurs fils, leurs époux dans leurs luttes magnifiques et souvent même, se trouver à leurs côtés au plus près du combat.

À vous toutes et à vous tous, artisans incomparables de la grandeur de Notre patrie, le Congo Indépendant que vous avez créé vous dit avec émotion sa gratitude infinie et vous assure solennellement que jamais vous ne serez oubliés.

Tournons-nous maintenant vers l’avenir.

L’aube de l’indépendance se lève sur un pays dont la structure économique est remarquable, bien équilibrée et solidement unifiée. Mais l’état d’inachèvement de la conscience nationale parmi les populations a suscité certaines alarmes que je voudrais dissiper aujourd’hui, en rappelant tous les progrès qui ont déjà été accomplis en ce domaine et qui sont les plus sûrs garants des étapes qui restent à parcourir.

Que de différences, en effet, lors de la fondation de notre pays, entre des populations que tout contribuait à maintenir écartées les unes des autres : sans souligner les diversités de langues, de coutumes ou de structures sociales, rappelons simplement les distances énormes qui nous séparaient et le manque de moyens modernes de communication de la fin du siècle passé. Pour se reconnaître, il a fallu se rencontrer.

Bon nombre de populations vivant aux confins de ce vaste pays se sentaient peu proches les unes des autres. Vous avez bien voulu rappeler, Sire, combien le progrès des moyens de déplacement contribua heureusement à enserrer le pays dans un réseau d’échanges qui servit aussi, et grandement, à rapprocher les hommes. Le développement économique, de son coté, amena la création de cités de travailleurs et de centres où les ressortissants des différentes ethnies apprirent à vivre ensemble, à mieux s’apprécier et où, insensiblement, une certaine osmose s’opéra. Les échanges se multipliant, les régions devinrent petit à petit complémentaires les unes des autres et renforcèrent ainsi leur collaboration. Le développement de l’instruction, la création et la diffusion des journaux et périodiques, la multiplication des postes de radio, tout cela contribua à la naissance dans les villes d’abord, dans les milieux ruraux ensuite, d’une opinion publique d’où, petit à petit, se dégagèrent les éléments d’une véritable conscience nationale.

La Belgique a eu alors la sagesse de ne pas s’opposer au courant de l’histoire et, comprenant la grandeur de l’idéal de la liberté qui anime tous les cœurs congolais, elle a su, fait sans précèdent dans l’histoire d’une colonisation pacifique, faire passer directement et sans transition notre pays de la domination étrangère à l’indépendance, dans la pleine souveraineté nationale.
(Applaudissements.)

Mais, si nous pouvons nous réjouir de cette décision, nous ne devons pas oublier que c’est à nous désormais à prendre le relais et à rassembler les matériaux de notre unité nationale, à construire notre nation dans l’union et dans la solidarité.
Nous disposons pour cela d’un large éventail de moyens, mais il faudra que nous les utilisions avec sagesse, sans hâte ni lenteur, avec le souci de s’adapter harmonieusement au rythme normal des choses, sans essouffler les populations par une marche trop rapide qui les laisserait hors d’haleine sur le bord de la route, mais sans se complaire non plus dans une admiration béate de ce qui est déjà fait.

La conscience nationale pousse depuis longtemps les populations congolaises vers plus de solidarité : nous aurons à favoriser plus que jamais ce mouvement de rapprochement national.

Un rôle tout spécial sera dévolu, dans cette recherche d’une plus grande cohésion nationale, aux institutions centrales du pays et surtout à l’action des Chambres législatives. Certains d’entre nous, Messieurs les Sénateurs et Messieurs les Députes, ont pour la première fois, sans doute, côtoyé des élus venant d’autres provinces.

Grande a été leur surprise de constater que votre idéal et vos préoccupations étaient si proches les uns des autres. J’ai la conviction que vous ferez de ces assises le véritable creuset d’une conscience nationale toujours plus développée. Nous saurons également, dans tout le pays, développer l’assimilation de ce que quatre-vingts ans de contact avec l’Occident nous a apporté de bien : la langue, qui est l’indispensable outil de l’harmonisation de nos rapports, la législation qui, insensiblement, a influencé sur l’évolution de nos coutumes diverses et les a lentement rapprochées et, enfin et surtout, la culture. Une affinité fondamentale de culture rapproche déjà tous les Bantous, aussi le contact de la civilisation chrétienne et les racines que cette civilisation a poussé en nous permettront aux sangs anciens revivifiés de donner à nos manifestations culturelles une originalité et un éclat tout particulier.

Nous aurons à cœur de favoriser l’éclosion de cette culture nationale et d’aider toutes les couches de la population à en percevoir le message et à en approfondir la portée. Nous aurons là une mission essentielle à remplir, car la culture sera le véritable ciment de la nation.

Cette recherche, ainsi que la mise en place des matériaux destinés à notre unité nationale, doit devenir la préoccupation dominante de tous. Aucun habitant de ce pays ne peut se refuser de participer à cette œuvre capitale. Nous saurons pour cela, dans ce vaste chantier de quatorze millions d’hommes qui est notre pays, éclairer et guider tous ceux qui y œuvrent dans l’enthousiasme. C’est cette communauté d’efforts, de peines et de travail qui achèvera le plus sûrement d’unir tous les Congolais en une grande, seule et solide nation. Nous montrerons ainsi au monde, par nos actes, que nous sommes dignes de la confiance que le peuple a placée en nous, et que de nombreux pays nous témoignent déjà. Nous ne les décevrons pas.
(Applaudissements.)

Sire,

La présence de votre Auguste Majesté aux cérémonies de ce jour mémorable constitue un éclatant et nouveau témoignage de Votre sollicitude pour toutes ces populations que vous avez aimées et protégées. Elles sont heureuses de pouvoir dire aujourd’hui à la fois leur reconnaissance pour les bienfaits que Vous et Vos illustres prédécesseurs leur avez prodigués, et leur joie pour la compréhension dans laquelle Vous avez rencontré leurs aspirations.

Elles ont reçu Votre message d’amitié avec tout le respect et la ferveur dont elles Vous entourent et garderont longtemps dans leur cœur les paroles que Vous venez de leur adresser en cette heure émouvante.
Elles sauront apprécier tout le prix de l’amitié que la Belgique leur offre et elles s’engageront avec enthousiasme dans la voie d’une collaboration sincère.

Messieurs les Représentants des Pays Étrangers,
Vous avez bien voulu partager nos joies et vous nous avez fait l’honneur de venir nombreux célébrer avec nous ces journées historiques. Aussi des relations d’amitié seront-elles faciles à nouer demain entre notre pays et chacun des États que Vous représentez.

Vous qui voyez autour de vous l’immense enthousiasme qui s’empare de toute la Nation, vous qui sentez notre désir de réussir et de bien faire, je vous demande de faire connaître au monde cette image pleine d’espoir que vous emporterez du Congo, et qui est sa vraie image.
Je proclame, au nom de la Nation, la naissance de la République du Congo.
Joseph Kasa-Vubu, Chef de l’État

Le mémorable discours de Patrice Emery Lumumba, le jeudi 30 juin 1960
Congolais et Congolaises,
Combattants de l’Indépendance aujourd’hui victorieux,
Je vous salue au nom du gouvernement congolais.
À vous tous, mes amis, qui avez lutté sans relâche à nos cotés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.
Car cette Indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise
(applaudissements), une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances,

ni notre sang.
Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour
mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force.
Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions le chasser de notre mémoire. Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers.
Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi
et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un Noir on disait « tu », non
certes comme à un ami, mais parce que le « vous » honorable était réservé aux seuls Blancs ?
Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort.
Nous avons connu que la loi était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou
d’un Noir : accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres.
Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même.
Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs
et des paillotes croulantes pour les Noirs ; qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits européens ; qu’un Noir voyageait à même la coque des péniches, aux pieds du Blanc dans sa cabine de luxe.
Qui oubliera enfin les fusillades dont périrent tant de nos frères, les cachots dont furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation?
(Applaudissements.)
Tout cela, mes frères, nous en avons profondément souffert.
Mais tout cela aussi, nous que le vote de vos représentants élus a agréés pour diriger notre cher pays, nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de
l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut, tout cela est désormais fini.
La République du Congo a été proclamée et notre cher pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants.
Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur.
Nous allons établir ensemble la Justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste
rémunération de son travail.
(Applaudissements.)
Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la
liberté, et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique tout entière.
Nous allons veiller à ce que les terres de notre patrie profitent véritablement à ses enfants. Nous allons revoir toutes les lois d’autrefois et en faire de nouvelles qui seront justes et nobles.
Nous allons mettre fin à l’oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens puissent jouir pleinement des libertés fondamentales prévues dans la déclaration des Droits de l’Homme.
(Applaudissements.)
Nous allons supprimer efficacement toute discrimination quelle qu’elle soit et donner à chacun la juste place que lui vaudra sa dignité humaine, son travail et son dévouement au pays.
Nous allons faire régner, non pas la paix des fusils et des baïonnettes, mais la paix des
cœurs et des bonnes volontés.
(Applaudissements.)
Et pour tout cela, chers compatriotes, soyez sûrs que nous pourrons compter, non
seulement sur nos forces énormes et nos richesses immenses, mais sur l’assistance de nombreux pays étrangers dont nous accepterons la collaboration chaque jour qu’elle sera loyale et ne cherchera pas à nous imposer une politique, quelle qu’elle soit.
(Applaudissements.)
Dans ce domaine, la Belgique qui, comprenant enfin le sens de l’histoire, n’a pas essayé
de s’opposer à notre indépendance est prête à nous accorder son aide et son amitié, et un
traité vient d’être signé dans ce sens entre nos deux pays égaux et indépendants. Cette
coopération, j’en suis sûr, sera profitable aux deux pays. De notre côté, tout en restant
vigilants, nous saurons respecter les engagements librement consentis.
Ainsi, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, le Congo nouveau, notre chère République que
mon gouvernement va créer, sera un pays riche, libre et prospère. Mais pour que nous
arrivions sans retard à ce but, vous tous, législateurs et citoyens congolais, je vous demande de m’aider de toutes vos forces.
Je vous demande à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger. Je demande à la minorité parlementaire d’aider mon gouvernement par une opposition constructive et de rester strictement dans les voies légales et démocratiques.
Je vous demande à tous de ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer la réussite de notre grandiose entreprise.
Je vous demande enfin de respecter inconditionnellement la vie et les biens de vos concitoyens et des étrangers établis dans notre pays. Si la conduite de ces étrangers laisse à désirer, notre justice sera prompte à les expulser du territoire de la République ;
si par contre leur conduite est bonne, il faut les laisser en paix, car eux aussi travaillent à la prospérité de notre pays.
L’Indépendance du Congo marque un pas décisif vers la libération de tout le continent
africain.
(Applaudissements.)
Voilà, Sire, Excellences, Mesdames, Messieurs, mes chers compatriotes, mes frères de race, mes frères de lutte, ce que j’ai voulu vous dire au nom du gouvernement en ce jour magnifique de notre Indépendance complète et souveraine.
(Applaudissements.)
Notre gouvernement, fort, national, populaire sera le salut de ce peuple.
Hommage aux combattants de la liberté nationale !
Vive l’lndépendance et l’Unité Africaine !
Vive le Congo indépendant et souverain !
(Applaudissements prolongés.)
Patrice Emery Lumumba, Premier Ministre

Le 30 juin 1960, le Congo a 6 provinces et 6 gouverneurs On les appelait les présidents provinciaux.

  1. Barthélémy Mukenge (Province du Kasaï).
  2. Jean Miruho (Province du Kivu).
  3. Cléophas Kamitatu (Province de Léopoldville).
  4. Jean-Pierre Finant (Province Orientale). C’est le père de Betty Finant alias Abeti Masikini.
  5. Laurent Eketebi (Province de l’Équateur). Ancien condisciple de Joseph-Désiré Mobutu et de Léon Kengo au groupe scolaire de Mbandaka.
  6. Moïse Kapend Tshombe (Province du Katanga).
    Il va proclamer la sécession de sa Province 11 jours seulement (11 juillet 1960) après la proclamation de l’Indépendance du Congo.
    (Source : Thomas Luhaka)