Se sentant « oubliés » : Les deux survivants de la chanson « Indépendance Cha Cha » interpellent le Gouvernement
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* Un ordre de mission de retrait des droits d’auteur auprès de Sabam à Bruxelles, réclamé…
* La protection de la chanson en tant que patrimoine mondial de l’Unesco
« Nous avons le regret de constater que depuis bientôt 58 ans, nous sommes oubliés. On a décoré certains musiciens, les anciens Léopards 68-74 et pourquoi pas nous ? – On n’est pas récompensé. En cette année du social 2018, préparatifs de la célébration du 58ème anniversaire de l’indépendance, nous interpellons le Gouvernement national.
Que cela ne soit pas à titre posthume. Pensée pieuse à Kabasele Tshamala Grand Kallé (chanteur), à Vicky Longomba (chanteur), à Nico Kasanda (soliste), Déchaud Mwamba (accompagnateur), et Roger Izeidi (maracassiste) qui nous ont précédé dans l’au-delà… » , a martelé Pierre Yantula Bobina alias Petit Pierre (77 ans), batteur de l’orchestre « African Jazz » l’un de deux survivants ayant contribué à la réussite de la chanson « Indépendance Cha Cha » exécutée lors de la Table Ronde de Bruxelles en 1960 , considérée à ce jour comme étant l’hymne des indépendances africaines.
Il s’exprimait ainsi en l’absence de son compère Armando Mwango Fwa-Di- Maya dit Brazzos (84 ans) actuellement rongé par la maladie sans assistance dans sa résidence localisée dans la commune de Bandalungwa. Petit Pierre et Brazzos tirent le diable par la queue. Le premier est fonctionnaire de l’Etat, en qualité de Chef du quartier Singa Mopepe dans la commune de Lingwala tandis que le second est au chômage depuis des lustres.
Que sont-ils devenus
Les deux survivants considérés comme les « pères fondateurs » de la rumba congolaise et qui ont immortalisé ce moment historique de l’accession de notre pays à l’indépendance continuent à réclamer haut et fort l’obtention d’ un ordre de mission officiel de la part du Gouvernement national en vue de récupérer les droits d’auteur de la chanson « Indépendance Cha Cha », estimés à des milliers de dollars auprès de la société SABAM basée en Belgique .
Un geste qui avait commencé à connaitre un début d’exécution avec le projet d’un déplacement qu’ils devraient effectuer à Bruxelles pour récupérer leurs droits d’auteur . Un ordre de mission avait même été établie, en leurs noms , le 9 septembre 2010 par la ministre de la Culture et des Arts de l’époque , Mme Jeannine Kavira Mapera.
A la surprise générale , le projet n’a pu être finalisé , les concernés ignorent jusqu’à présent à quel niveau l’affaire a capoté , entre le Ministère de la Culture et des Arts et le Commissariat Général du Cinquantenaire qui devrait leur octroyer des frais des missions . Les demandes d’audience qu’ils ont introduites auprès de la présidente de la Fondation Kabila (le 31 décembre 2010) sont aussi restées lettres mortes, ont-ils indiqué.
Aujourd’hui, c’est un véritable SOS qu’ils lancent en direction de l’autorité suprême de la Nation pour qu’elle daigne examiner leur cas.
En plus, les deux rescapés appuient les démarches de la reconnaissance de la chanson « Indépendance Cha Cha » comme étant un patrimoine mondial de l’Unesco.
Invités à agrémenter en 1959 – 1960 , le séjour bruxellois des délégués et hommes politiques congolais participant à la Table Ronde politique de Bruxelles sur l’indépendance de la République démocratique du Congo acquise dans la douleur , les musiciens de l’orchestre « African Jazz » ont immortalisé pratiquement une cinquantaine de personnalités ayant assisté à cet important forum politique où se décidèrent finalement le futur du peuple congolais et l’octroi de l’indépendance à la colonie belge , à cet égard , l’on peut considérer ces sept musiciens comme des héros de l’indépendance.
Et, depuis 1960 les deux chansons « Table Ronde » et surtout « Indépendance Cha Cha » qu’on doit au génie créateur de Joseph Kabasele Tshamala alias Kallé Jeff , ont traversé des générations sans prendre pli.
« African Jazz », 1er orchestre congolais sur une scène européenne
Lors de ce voyage qui eut lieu le 6 décembre 1959, Petit Pierre qui n’avait alors que 17 ans , avait dû user des ruses de Sioux , aidé en cela par sa famille et l’African Jazz en vue d’obtenir son visa . Il devait absolument voyager car n’ayant pas de doublure à son poste.
Pour l’histoire , l’on retiendra que le groupe musical « African Jazz » est le tout premier orchestre composé entièrement des autochtones congolais à se produire sur une scène européenne . Mais sur place, il avait dû bénéficier de l’apport d’un drummer belge, Charly Hernaut qui avait participé à l’enregistrement de deux chansons précitées.
A l’occasion du Cinquantenaire de l’Indépendance de la République Démocratique du Congo , le 30 juin 2010, on s’attendait à voir la République récompenser à juste titre ces musiciens émérites . Que non, ils ont été tout simplement « oubliés ».
Notices biographiques et parcours artistiques
1. Brazzos
De son vrai nom Armando Mwango Fwadi – Maya, il est né à Kinshasa le 21 avril 1935. Guitariste formé par Bill Alexandre (élève du célèbre guitariste Django Reinhard) qui l’avait également surnommé Brazzos , qui signifie l’homme aux bras des os.
Il débuta sa carrière à la Compagnie d’Enregistrements Folkloriques (CEFA) en 1953 comme guitariste accompagnateur aux côtés de Roger Izeidi , Roitelet Moniania et Vicky Longomba.
En 1956, Brazzos fait partie de la première équipe avec son ami Vicky Longomba lors de la création de l’OK Jazz , l’orchestre cher à Franco Luambo Makiadi.
En 1959, pour agrémenter la soirée de la Table ronde qui a conduit à la prise de l’indépendance de la République Démocratique du Congo avec la chanson « Indépendance Cha Cha », à la demande de Kallé Jeff, Brazzos intègre l’African Jazz avec Vicky Longomba à l’insu de leur groupe OK Jazz. Ensuite , il rejoindra à plusieurs fois l’OK Jazz et il a également travaillé dans l’orchestre du saxophoniste international camerounais Manu Dibango à Kinshasa.
2. Petit Pierre
Né à Kinshasa le 14 août 1941, son recrutement pour le voyage historique à Bruxelles en 1960, est dû à l’absence du percuteur attitré du groupe qui a refusé de faire partie de l’aventure , comme l’a dit Papa Wemba « Chance eloko pamba ».
Elève en option commerciale et administrative , Petit Pierre n’avait que 17 ans lors de leur prestation musicale à la Table Ronde , ce qui a fait de lui le plus jeune de la formation , au point qu’il a fallu une autorisation parentale pour obtenir son visa.
Il débute sa carrière musicale en 1963 en intégrant l’orchestre Rock a Mambo du célèbre Lando Rossignol. Quelques mois après il rejoint ses ainés qui ont quitté l’African Jazz pour l’African Fiesta et le 5 août de la même année , un accident de circulation avec Seigneur Rochereau Tabu Ley a mis fin à sa carrière musicale pour devenir plus tard fonctionnaire de l’Etat.
La population congolaise particulièrement sa jeunesse ignore parfois les efforts fournis par les pionniers de la culture de la République Démocratique du Congo en vue de l’émergence de celle-ci, situation qui laisse bon nombre de ces braves compatriotes dans l’oubli , avec risque de porter un coup fatal au travail abattu par ces dignes fils et filles de notre nation.
Dans le souci de témoigner notre respect et notre estime , par ce mois de Juin 2018 célébrant le 58ème anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance , tenons à sortir de l’oubli les artistes survivants ayant accompagné ce moment historique en composant une chanson tout aussi mémorable qu’anthologique « Indépendance Cha Cha » une chanson qui n’a pas seulement été un hymne à la liberté mais aussi un des vecteurs de la future hégémonie de la musique congolaise en Afrique. Elle est vite devenue l’hymne de l’émancipation du continent noir.
Petit Pierre a saisi l’occasion en vue de remercier le Gouvernement pour les hommages rendus à son ainé le guitariste Lutumba Simaro Masiya de l’école TP OK Jazz, pour ses 80 ans d’âge et 60 ans de carrière musicale .
Il pense qu’il en sera de même pour le chanteur doyen actif Jeannot Bombenga de l’orchestre « Vox Africa » qui met définitivement à sa carrière musicale à l’occasion de ses 85 ans d’âge , événement prévu ce 23 juin 2018 dans un dancing- bar à Kinshasa.
Par Franck Ambangito/CP