Tueries du 19 décembre 2016 : Le rapport de l’ONU accable les autorités de Kinshasa
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Selon ce document, près de 40 personnes ont été tuées à Kinshasa, Lubumbashi, Boma et Matadi, à cause de l’usage « excessif et disproportionné » de la force
Un rapport des Nations Unies rendu public hier mercredi 1er mars 2017 accuse les forces de défense et de sécurité de la République démocratique du Congo (RDC) d’avoir fait usage excessif et disproportionné de la force, parfois létale, pour empêcher et contenir des manifestations en décembre 2016.
Selon ce rapport du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme de la MONUSCO (BCNUDH), au moins 40 personnes, dont cinq femmes et deux enfants, ont été tuées entre le 15 et le 31 décembre 2016 dans plusieurs villes de la RDC, parmi lesquelles Kinshasa, Lubumbashi, Boma et Matadi, note ce document.
Les résultats de l’enquête du BCNUDH montrent que 28 individus ont été tués par des militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), six par des agents de la Police nationale congolaise (PNC) et six autres lors des opérations conjointes de la PNC et des FARDC. Toutes les victimes, sauf deux, ont été tuées par balle, renseigne ce rapport.
Au cours de la même période, au moins 147 personnes ont été blessées par des agents de l’État dont 14 femmes et 18 enfants, et au moins 917 personnes dont 30 femmes et 95 enfants, ont été arrêtées par les forces de défense et de sécurité. Le rapport note également que certains manifestants ont commis des actes de violence, dont le meurtre d’au moins un agent de la PNC à Kinshasa le 20 décembre 2016.
Le rapport indique que la plupart des victimes étaient des civils non armés, blessés par balle au niveau des parties supérieures du corps, ce qui suggère un usage excessif et disproportionné de la force par les forces de sécurité lors des opérations visant à contenir les manifestations.
« De tels incidents aussi graves sont inquiétants, en particulier dans le contexte actuel. Le Gouvernement est le premier responsable de la mise en œuvre des mesures de confiance prévues par l’Accord politique global et inclusif du 31 décembre 2016 afin d’atténuer les tensions et créer un environnement propice à la tenue des élections pacifiques.
La MONUSCO continuera d’appuyer les efforts déployés par le Gouvernement visant à atteindre ces objectifs, notamment par le biais des enquêtes et des sanctions fermes contre tous les responsables des violations graves des droits de l’homme », a déclaré Maman Sambo Sidikou, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en RDC.
« La MONUSCO reste déterminée à accompagner la RDC vers des élections pacifiques, crédibles et inclusives», a ajouté Sidikou. Le rapport condamne également le fait que, alors que les opérations de gestion des foules sont normalement du ressort de la PNC, des militaires des FARDC, y compris ceux de la Garde républicaine et de la Police militaire ont été déployés pendant la période considérée pour contenir les manifestations, bien qu’ils ne soient ni convenablement équipés ni suffisamment formés pour ces opérations.
L’absence d’identification des responsabilités pour les violations passées des droits de l’homme, y compris celles qui ont été commises lors des manifestations de Kinshasa les 19 et 20 septembre 2016, peut avoir encouragé un sentiment d’impunité et incité les forces de défense et de sécurité à commettre d’autres violations en décembre 2016.
« Une fois de plus, nous constatons de graves violations des droits de l’homme, commises de façon flagrante et en toute impunité par les forces de sécurité qui ont fait un usage excessif de la force contre des manifestants non armés, en violation flagrante du droit international des droits de l’homme et des normes internationales », a déclaré le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein.
«Je demande instamment au Gouvernement de veiller à ce que les responsables des violations commises dans le contexte des événements qui ont marqué la fin du deuxième mandat constitutionnel du Président Joseph Kabila Kabange rendent des comptes et soient traduits en justice. Des mesures doivent également être prises, à tous les niveaux, pour que l’exercice légitime des libertés fondamentales par la population ne conduise pas à la perte de vies humaines et à d’autres violations graves des droits de l’homme», a déclaré Zeid Ra’ad Al Hussein.
« J’appelle donc le Gouvernement de la RDC à adopter d’urgence la loi sur la liberté de manifestation pacifique et la loi sur les défenseurs des droits de l’homme. Ceci est crucial pour les mois à venir durant lesquels la RDC se dirige vers la mise en œuvre de l’Accord politique du 31 décembre et préparer la prochaine élection présidentielle », a souligné Zeid Ra’ad Al Hussein.
BUREAU CONJOINT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME (BCNUDH) MONUSCO -BCNUDH
RAPPORT SUR LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO DANS LE CONTEXTE DES EVENEMENTS DU 19 DECEMBRE 2016
Résumé
Ce rapport rédigé par le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH) est publié conjointement par la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) et par le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).
Le rapport présente les violations des droits de l’homme qui ont été commises par les forces de défense et de sécurité en République démocratique du Congo (RDC) entre le 15 et le 31 décembre 2016, dans le cadre des événements
du 19 décembre 2016, date de la fin du deuxième et dernier mandat constitutionnel du Président Joseph Kabila Kabange. Le rapport mentionne aussi des allégations d’infractions de droit commun commises par les manifestants reçues par le BCNUDH.
Entre le 15 et le 31 décembre 2016, le BCNUDH a pu documenter qu’au moins 40 personnes ont été tuées, dont cinq femmes et deux enfants, 147 blessées, dont 14 femmes et 18 enfants, par un usage excessif et disproportionnée de la force, y compris l’utilisation de balles réelles, par les forces de défense et de sécurité, principalement par les militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), afin d’empêcher à la population de prendre part aux mouvements de protestation.
Alors que la responsabilité de contrôler et de sécuriser les foules incombe normalement à la Police nationale congolaise (PNC), pendant la période sous analyse, des militaires des FARDC, en particulier ceux de la Garde républicaine et de la Police Militaire, ont été déployés en plus de la PNC pour exercer des fonctions de contrôle des foules pour lesquelles ils ne sont ni équipés, ni formés.
Au cours de la même période, au moins 917 personnes, y compris 30 femmes et 95 enfants, ont été arrêtés par les agents de l’Etat dans tout le pays.
Le BCNUDH n’a pas été en mesure de confirmer toutes les allégations qui ont été portées à son attention en raison d’un refus d’accès à des camps et autres structures militaires, ainsi qu’à des morgues et des hôpitaux, auquel ses équipes ont été confrontées.
Ainsi le nombre effectif de victimes pourrait être plus élevé de celui mentionné dans ce rapport. Les opérations des autorités congolaise ont été mises en œuvre à travers une restriction illégale et
disproportionnée des libertés publiques, y compris le droit aux libertés d’expression, d’information et de réunion pacifique, en violation des standards internationaux en matière des droits de l’homme, ainsi que de la Constitution de la RDC.
Les violations des droits de l’homme documentées pendant la période en revue, confirment la tendance des autorités à restreindre l’espace démocratique en RDC, rapportée depuis janvier 2015.
Le BCNUDH déplore l’absence de mesures prises par les autorités congolaises contre les auteurs de violations des droits de l’homme en lien avec le processus électoral enregistrées dans les derniers mois, ce qui aurait pu encourager une culture d’impunité et la commission de ces nouvelles violations.
Le rapport présente les violations des droits de l’homme commises entre le 15 et le 31 décembre 2016 et conclue avec une série de recommandations qui visent à appuyer le Gouvernement à améliorer le respect des libertés et droits fondamentaux en contribuant à créer un environnement propice à la tenue d’élections libres, inclusives et apaisées en 2017.
I. Introduction
1. A la fin du deuxième mandat constitutionnel du Président Kabila le 19 décembre 2016, des manifestations à large échelle étaient attendues sur tout le territoire de la RDC pour protester contre son maintien au pouvoir au-delà de cette date, malgré les interdictions généralisées en vigueur dans les principales villes du pays depuis 2015. Les autorités congolaises ont déployé un important dispositif des forces de défense et de sécurité, y compris des militaires des FARDC de la Garde Républicaine et de la Police Militaire, dans les principales villes du pays afin d’empêcher et contenir ces manifestations.
2. Dans sa résolution 2277 de mars 2016, le Conseil de sécurité des Nations Unies a demandé à la MONUSCO de recenser et d’enquêter sur les allégations de violation des droits de l’homme liées au processus électoral. Ce rapport présente les résultats des enquêtes du BCNUDH sur les allégations de violations commises sur tout le territoire de la RDC par les forces de défense et de sécurité, tout et de sécurité, tout particulièrement les militaires des FARDC, y compris ceux de la Garde républicaine et de la Police Militaire et les agents de la PNC, pendant et après les manifestations qui ont eu lieu autour de la date du 19 décembre 2016 en RDC.
Ce rapport couvre les incidents survenus entre le 15 et le 31 décembre 2016 et qui sont liées à une restriction de l’espace politique pour tous ceux qui s’opposent au maintien au pouvoir du Président Kabila au-delà de son deuxième mandat.
3. Le contenu et les recommandations de ce rapport reflètent celles faites dans des publications antérieures du BCNUDH, notamment dans le «Rapport sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales en période pré-électorale en RDC entre le 1er janvier et le 30 septembre 2015″, publié le 8 décembre 2015 et le «Rapport préliminaire d’enquête sur les violations des droits de l’homme et violences perpétrées dans le cadre des manifestations de Kinshasa entre les 19 et 21 septembre 2016″, publié le 21 octobre 2016.
II. Méthodologie et difficultés rencontrées
4. Les informations contenues dans ce rapport ont été recueillies par le BCNUDH à travers ses six antennes à l’Ouest, ses 10 bureaux de terrain à l’Est et son quartier général à Kinshasa. Les chiffres évoqués dans ce rapport ne donnent pas un aperçu exhaustif des violations des droits de l’homme commises dans le cadre des événements du 19 décembre. Il s’agit uniquement des cas recensés et vérifiés par le BCNUDH à travers sa méthodologie spécialisée, en accord avec les directives du HCDH.
5. Les informations contenues dans le présent rapport ne se réfèrent pas qu’aux violations des droits de l’homme commises le 19 décembre 2016, mais aussi à celles ayant eu lieu quelques jours avant et après cette date, soit entre le 15 et le 31 décembre 2016, et qui ont un lien avec les événements survenus dans cette période.
Le BCNUDH a effectué plusieurs visites des lieux où des incidents se sont passés ainsi que de ceux où les victimes ont été transférées, notamment les hôpitaux, les centres de santé et les morgues, ainsi que des centres de détention. Le BCNUDH a pu recueillir les informations auprès de différentes sources, telles que des victimes et des témoins des violations rapportées, des membres de la société civile, des professionnels de la santé, des autorités congolaises, y compris des représentants des forces de défense et de sécurité et des autorités judiciaires et pénitentiaires. Les allégations reçues ont été vérifiées et corroborées à travers une méthodologie spécifique et une corroboration stricte des différents témoignages issus de sources indépendantes.
6. Le BCNUDH a aussi reçu des allégations d’infractions de droit commun commises par les manifestants. La récolte d’information concernant ces derniers ne faisant pas partie de son mandat, elles ne sont que mentionnées qu’en tant qu’informations contextuelles.
7. Le travail de récolte et de vérification des informations relatives aux droits de l’homme a été rendu difficile du fait de différentes restrictions imposées par des autorités congolaises au personnel du BCNUDH, ce qui a limité sa capacité à vérifier toutes les allégations de violations des droits de l’homme qui ont été portées à son attention. Les équipes du BCNUDH n’ont pas eu accès à tous les centres de détention où des individus avaient été amenés après leur arrestation, principalement dans des camps, des cellules militaires et aux centres de détention de l’Agence nationale de renseignements (ANR).
A titre d’exemple, à Kinshasa, les militaires des FARDC ont empêché les équipes du BNCUDH d’accéder au campus universitaire et les ont intimidés pendant leur visite. A Lubumbashi, les enquêteurs du BCNUDH se sont vus refuser l’accès aux structures médicales, y compris aux hôpitaux de référence de Sendwe et du Cinquantenaire, ainsi qu’aux cliniques universitaires où les forces de sécurité auraient amené plusieurs blessés.
Ces restrictions auxquelles ont fait face les équipes du BCNUDH sont contraires au Protocole d’Accord relatif à l’établissement à Kinshasa d’un Bureau des Droits de l’Homme signé entre le Gouvernement et le HCDH en 1996, et dans lequel le Gouvernement s’engage à garantir la liberté de mouvement au personnel du BCNUDH sur tout le territoire de la RDC, et ce compris dans les endroits où la circulation est normalement règlementée, et pour des raisons d’enquête. La MONUSCO et le HCDH sont préoccupés par ces actes d’intimidations contre le personnel du BCNUDH.
8. En suivant sa pratique courante, le BCNUDH a partagé ce rapport avec le Gouvernement avant sa publication. Les commentaires reçus par les autorités congolaises concernées sont en annexe de ce rapport.
III. Le contexte
9. Les violations des droits de l’homme décrites dans ce rapport ont eu lieu dans le contexte du terme du deuxième et dernier mandat constitutionnel du Président Kabila qui aurait dû prendre fin le 19 décembre 2016. Pour protester contre son maintien au pouvoir au-delà du 19 décembre 2016, les principaux partis politiques de l’opposition, y compris l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), ainsi que des plateformes de coalitions comme le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement (ci-après Rassemblement), ont lancé plusieurs journées «ville morte» à travers l’ensemble du pays et donné au Président Kabila des avertissements sous la forme symbolique de deux «cartons jaunes» et d’un «carton rouge», les 19 septembre, 19 octobre et 19 novembre 2016 respectivement.
Le 26 novembre 2016, des mouvements citoyens, tels que Lutte pour le changement (LUCHA) et Filimbi, ont lancé la campagne de sensibilisation «Bye-bye Kabila» demandant le respect de la Constitution et que le Président quitte le pouvoir le 19 décembre.
10. Des interdictions générales de tout rassemblement ou manifestation politiques publiques ont été mises en place à partir de 2015 dans les principales villes du pays, y compris à Lubumbashi (province du Haut-Katanga) et à Kalemie (province du Tanganyika). Le 22 septembre 2016, après qu’une série de manifestations de grande envergure à Kinshasa ait été réprimée par les forces de sécurité en utilisant des armes létales, les autorités ont introduit une interdiction générale des manifestations dans la capitale.
Dans d’autres villes, les manifestations organisées par les mouvements d’opposition ont été systématiquement interdites ou réprimées par les autorités congolaises, ce qui a entraîné une interdiction de facto de toutes manifestations publiques.
Le 1er décembre 2016, l’interdiction générale de manifester a été réitérée dans une instruction du Ministre de l’Intérieur adressées aux commissaires spéciaux provinciaux du pays, rappelant que les activités des organisations non enregistrées étaient interdites. La correspondance a formellement interdit les activités de toutes les organisations sans statut légal, ciblant tout particulièrement les mouvements citoyens LUCHA et Filimbi.
11. Le Dialogue national controversé, convoqué par le Chef de l’Etat, s’est conclu le 18 octobre 2016 avec l’aval d’un accord politique entre la Majorité Présidentielle, une fraction de l’opposition et des représentants de la société civile. Les signataires ont convenu que les élections se tiendraient d’ici avril 2018 et que le président Kabila resterait au pouvoir jusqu’à ce que le président élu assume ses nouvelles fonctions.
Selon l’accord, la transition serait dirigée par un Gouvernement d’unité nationale sous la conduite d’un Premier ministre de l’opposition. Ainsi, Samy Badibanga a été nommé Premier ministre le 19 novembre 2016.
12. Le 31 octobre 2016, à la demande du Président Kabila, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) a lancé des efforts de facilitation visant à promouvoir un consensus plus large sur la transition et les élections. Le CENCO a notamment contribué à permettre à ceux qui ont boycotté le Dialogue national de les rejoindre dans l’espoir de souscrire à un accord politique.
13. Le 19 décembre 2016, le dirigeant de l’UDPS et leader du Rassemblement, Etienne Tshisekedi, a demandé à ses partisans de «résister pacifiquement» et de ne plus reconnaître Joseph Kabila comme président. Le seul leader de l’opposition qui a appelé la population à manifester publiquement a été le président du Mouvement lumumbiste progressiste (MLP), le député national Franck Diongo.
14. Dans la nuit du 19 au 20 décembre 2016, la composition du nouveau Gouvernement du Premier ministre Samy Badibanga a été annoncée. Le Gouvernement comprend 67 Ministres de la majorité présidentielle et un nombre limité provenant de partis d’opposition qui avaient signé l’accord politique conclu le 18 octobre 2016, ainsi que des membres de la société civile.
Vers minuit, dans les principales villes de la RDC, de nombreuses personnes se sont rassemblées dans les rues, faisant du bruit avec des sifflets et des casseroles pour demander le départ du président Kabila. Ces rassemblements se sont retrouvés confrontés à un fort déploiement des forces de défense et de sécurité. Les protestations ont commencé et se sont poursuivies les jours suivants.
15. Le 31 décembre 2016, les efforts de la CENCO ont mené à la signature d’un accord politique plus inclusif.
IV. Cadre juridique
16. Les droits de l’homme visés dans ce rapport sont garantis et protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et les instruments internationaux auxquels la RDC est partie.
Ces droits sont également protégés par la Constitution de la RDC. L’Etat congolais est donc tenu d’assurer l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales protégés par ces textes, mais aussi de prévenir et de réprimer les violations de ces droits commises par des agents de l’Etat.
i. Droit à la vie et droit à l’intégrité physique
17. 17. Le droit à la vie et le droit à l’intégrité physique sont garantis par les articles 6, 7 et 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par les articles 4, 5 et 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Ils sont aussi protégés par l’article 16 de la Constitution congolaise qui dit que «[L]a personne humaine est sacrée.
L’Etat a l’obligation de la respecter et de la protéger» et que «[t]oute personne a droit à la vie, à l’intégrité physique ainsi qu’au libre développement de sa personnalité dans le respect de la loi, de l’ordre public, du droit d’autrui et des bonnes mœurs».
18. L’Etat congolais, aux termes de ces articles, a une obligation toute particulière quant à l’action de ses forces de défense et de sécurité. Selon le Comité des droits de l’homme, «les Etats parties doivent […] empêcher que leurs propres forces de sécurité ne tuent des individus de façon arbitraire». Dès lors, toute atteinte au droit à la vie doit entraîner de la part des Etats une action, qu’elle soit préventive ou répressive, et quel qu’en soit l’auteur.
19. Les lois organiques portant organisation et fonctionnement de la PNC et des Forces armées prévoient que les forces de défense et de sécurité ne peuvent avoir recours à la force qu’en cas de nécessité absolue et uniquement pour atteindre un but légitime. Comme cela est prévu par les standards internationaux,
par les standards internationaux, le recours à la force et l’utilisation des armes létales doit être exceptionnel, quand cela est inévitable, et doit être proportionnée et associée à des mesures de précaution pour en minimiser les conséquences néfastes. Si le recours à la force peut se révéler nécessaire pour le maintien de l’ordre public, il doit répondre aux principes précités et des mécanismes effectifs de reporting et d’enquête doivent être mis en place.
20. En outre, la Constitution congolaise prévoit que personne n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal ou contraire au respect des droits de l’homme et des libertés publiques.
ii. Droit à la liberté et à la sécurité de la personne
21. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne est garanti par l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
De plus, la Constitution congolaise, dans ses articles 17 et 18, accorde une protection spécifique contre l’arrestation arbitraire et la détention des personnes se trouvant sur le territoire congolais, prévoyant que ces arrestations doivent respecter les procédures établies par la loi et que les personnes arrêtées doivent être informées des raisons de leur arrestation, ont le droit de contacter immédiatement leur famille ou leur conseil et doivent être traduites devant un juge dans les
48 heures.
22. L’article 18 de la Constitution congolaise prévoit une protection contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants et di que «[t]out détenu doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa vie, sa santé physique et mentale ainsi que sa dignité». Les personnes privées de liberté ne doivent donc pas subir de mauvais traitements, que ce soit lors de leur arrestation ou de leur détention, et ne doivent pas être soumises à des menaces ou des intimidations.
iii. Liberté de réunion pacifique
23. La liberté de réunion pacifique est garantie par l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Si des restrictions raisonnables à ce droit peuvent être nécessaires sous certaines circonstances «[d]ans les cas où des restrictions sont formulées, les États doivent en démontrer la nécessité et ne prendre que des mesures proportionnées aux objectifs légitimes poursuivis afin d’assurer une protection véritable et continue des droits énoncés dans le Pacte».
Par conséquent, les interdictions générales, y compris l’interdiction totale de l’exercice du droit de réunion pacifique ou l’interdiction de ces droits dans des lieux précis ou à des moments particuliers, sont intrinsèquement disproportionnées, car elles excluent l’examen des circonstances spécifiques à chaque réunion proposée.
24. Les articles 25 et 26 de la Constitution congolaise stipulent que les manifestations sur les voies publiques ou en plein air nécessitent des organisateurs d’informer par écrit l’autorité administrative compétente. Cette exigence n’était pas envisagée comme un système d’autorisation préalable pour la tenue de manifestations publiques mais plutôt pour permettre aux autorités compétentes de prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter la tenue de manifestations sécurisées et pour assurer la protection des manifestants.
Cependant, en pratique, un système d’autorisation préalable reste en vigueur malgré une série d’autres lois nationales qui ont suivi et qui ont remplacé le régime de demande d’autorisation par la notification aux autorités compétentes. L’adoption du projet de loi de 2015 prévoyant des mesures pour tenir des manifestations devrait, une fois promulguée, concilier les dispositions juridiques contradictoires.
iv. Liberté d’expression et liberté de la presse
25. La liberté d’expression est protégée par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. La liberté d’expression et la liberté de la presse sont reconnues par les articles 23 et 24 de la Constitution congolaise. L’article 23 stipule que toutes les personnes ont le droit d’exprimer leurs opinions ou leurs convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et de la morale.
L’article 24 demande au Gouvernement de promouvoir un environnement médiatique pluraliste et déclare que la liberté de la presse, la liberté de l’information et d’émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication sont garanties sous réserve du respect de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits d’autrui.
26. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) est l’autorité compétente pour toute décision en matière de presse, à étudier toute violation de la loi sur la presse. Le CSAC peut décider, et ce uniquement par décision d’assemblée, de suspendre le signal d’une radio ou d’une télévision pendant trois mois maximum.
Les autorités provinciales et locales dans le cadre de leur pouvoir de police général ne peuvent prendre que des mesures conservatoires en cas de violation de la loi du 22 juin 1996 fixant les modalités de l’exercice de la liberté de la presse, et uniquement si cela est dicté par les exigences de l’ordre public.
Ces mesures conservatoires ne peuvent porter que sur l’interdiction d’émettre et de diffuser une émission ou un programme et d’informer les autorités compétentes sous 48 heures. En aucun cas, au terme de la loi congolaise, une autorité administrative autre que le CSAC ne peut interrompre le signal d’émission d’une radio ou d’une télévision.
27. Au terme de l’article 81 de la loi électorale, toute atteinte à la liberté d’expression ou au droit de manifestation durant la campagne électorale est interdite. Cette loi prévoit également des peines d’emprisonnement et des amendes pour tous ceux qui entravent la jouissance des libertés fondamentales au cours d’une campagne électorale.
V. Violations des droits de l’homme
i. Analyse des principales tendances
28. Entre le 15 et le 31 décembre 2016, les autorités congolaises ont agi pour empêcher et pour contenir la tenue de manifestations publiques contre le maintien au pouvoir du Président Kabila au-delà de la fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel le 19 décembre.
Dans les principales villes de la RDC, les forces de défense et de sécurité, dont les agents de la PNC, mais également des militaires des FARDC équipés d’armes létales, ont été massivement déployées dans le but d’empêcher et de répondre aux manifestations publiques attendues, malgré les interdictions imposées au préalable par les autorités.
29. Dans ce contexte, le BCNUDH a documenté au moins 40 personnes tuées, dont cinq femmes et deux enfants, et 147 autres blessées, dont 14 femmes et 18 enfants, résultant d’un usage disproportionné de la force et de l’utilisation de balles réelles par les forces de défense et de sécurité, en particulier l’armée, dont les soldats de la Garde républicaine et de la Police Militaire, qui ne sont ni équipés ni entrainés pour les opérations de gestion des foules.
30. Avant, pendant et après les manifestations, les forces de défense et de sécurité ont par ailleurs procédé à des arrestations à grande échelle de personnes suspectées de planifier ou de participer à des manifestations, dont des membres et des militants de partis d’opposition et de mouvements citoyens.
Entre le 15 et le 31 décembre 2015, au moins 917 personnes, dont 30 femmes et 95 enfants, auraient été arrêtées en RDC par les forces de défense et de sécurité. Bien que la plupart aient été libérées, au moins 70 parmi elles ont été condamnées pour des infractions de droit commun tels que la destruction méchante, le pillage, la rébellion ou la participation à un mouvement insurrectionnel et plusieurs ont été soumises à des traitements cruels, inhumains ou dégradants lors de leur arrestation ou pendant leur détention.
ii. Droit à la vie et droit à l’intégrité physique
31. Entre le 15 et le 31 décembre 2016, en lien avec les manifestations, le BCNUDH a documenté qu’au moins 40 personnes ont été tuées par des agents de l’Etat, dont cinq femmes et deux enfants : 17 à Kinshasa, 12 à Lubumbashi (province du Haut-Katanga), huit à Boma et trois à Matadi (province du Kongo Central). Au moins 38 de ces victimes ont été tuées par balle par les forces de défense et de sécurité.
Durant la même période, au moins 147 personnes ont été blessées par des agents de l’Etat, dont 14 femmes et 18 enfants: 64 à Lubumbashi, 51 à Kinshasa, 16 à Matadi et 12 à Boma, ainsi qu’une personne dans chacune des villes de Luebo (province du Kasaï), Kananga (province du Kasaï central), Mbuji-Mayi (province du Kasaï oriental) et Beni (province du Nord-Kivu).
32. Bien que certains incidents documentés par le BCNUDH se soient déroulés lors d’affrontements avec des manifestants violents, les informations collectées dénotent un usage excessif et disproportionné de la force, dont l’utilisation d’armes létales et de balles réelles, tirées sur les parties supérieures du corps par les forces de défense et de sécurité congolaises en réponse aux manifestations des 19 et 20 décembre.
L’utilisation d’armes létales par des forces de défense et de sécurité lourdement armées contre des manifestants viole les droits garantis par le droit international ainsi que par la Constitution congolaise et est contraire aux standards internationaux régulant l’usage de la force et des armes à feu par les agents de maintien de l’ordre. De plus, plusieurs victimes ont été blessées des suites de traitements cruels, inhumains ou dégradants lors de leur arrestation ou de leur détention, en violation des normes internationales et du droit congolais.
33. A Kinshasa, par exemple, au moins 17 personnes, dont deux femmes, ont été tuées, et au moins 51 autres, dont sept femmes et deux enfants, ont été blessées par des agents de l’Etat. La plupart des incidents documentés dans la capitale ont commencé dans la nuit du 19 au 20 décembre 2016, lorsque les forces de défense et de sécurité ont commencé à tirer à balles réelles et à utiliser des grenades lacrymogènes pour disperser la population qui était descendue dans la rue en faisant du bruit à l’aide de sifflets et de casseroles.
Ce soir-là, un homme a été tué par balle par des militaires des FARDC pendant que la population manifestait et sifflait dans la commune de Masina à Kinshasa. Les violences à Kinshasa ont continué tout au long de la journée du 20 décembre, quand les militaires de la Garde républicaine et de la Police Militaire procédaient à des tirs de sommation pour disperser la population.
Sur les 17 personnes tuées documentées par le BCNUDH à Kinshasa, deux l’ont été le 19 décembre, et 15 le 20 décembre. Quinze de ces victimes ont été tuées soit par des balles perdues, soit par des tirs directs, un homme est mort après avoir été percuté par un camion de la PNC, et un autre homme, arrêté le 19 décembre à Masina, serait mort des suites de traitements cruels, inhumains et dégradants pendant sa détention au camp militaire Kokolo.
Le 20 décembre, au moins 29 personnes ont été blessées (dont cinq femmes et un enfant), dont au moins 16 par balle et trois à la suite de traitements cruels, inhumains et dégradants lors de leur arrestation ou détention par .
Par Godé Kalonji